mardi, juin 02, 2009

La danse au berdache, chorégraphie de Kent Monkman, au Musée des Beau-Arts de Montréal

Huile éponyme de George Catlin (1796-1872), Smithsonian, Washington.

BERDACHE, retenez bien ce terme que tous les peuples autochtones des trois Amériques (Indiens, Métis, Inuits) sont en train de remettre à l'ordre du jour, et non sans l'avoir rajeuni de la plus belle manière qui soit. Il a été inventé par les Français pour désigner ces êtres particuliers qui s'identifiaient au sexe opposé à leur sexe biologique, qui prenaient leurs habits et qui vivaient selon leurs codes sociaux. Chez les autochtones des trois Amériques (Indiens, Métis et Inuits), il fallait plutôt parler d'êtres aux deux esprits (2 spirited people). Et il n'y avait pas que des hommes puisque ce phénomène de civilisation se retrouvait également chez les femmes, mais en plus faible proportion.

Aujourd'hui, entrent indistinctement dans la catégorie du berdache et des êtres bispirituels, les transgenres, les transsexuel(les), les travesties, les intersexués sociaux, les hermaphrodites et les homosexuels des deux sexes.

Pour ceux qui s'intéressent à cette facette méconnue de la culture autochtone des trois Amériques et qui ont la chance de se trouver à Montréal cet été, il faut absolument faire le détour par le Musée des Beaux Arts de Montréal, 1380 rue Sherbrooke Ouest. Le spectacle se tient jusqu'au 4 octobre 2009

Russel-A. Bouchard




Chronique de :
JÉRÔME DELGADO
Le Devoir, 30-31 mai 2009

Entraînante, dansante même. Envoûtante, ensorcelante. Et intrigante, forte d'une dose mélangeant les sources et les références, les époques et les styles. Avec ses cinq écrans et ses ryth-mes endiablés, l'installation vidéo Danse au Berdache de Kent Monkman a de quoi semer l'émoi.

Du pow-wow dans l'air

C'est à un spectacle qu'on assiste, une chorégraphie, pour cinq danseurs, bien montée et fignolée par un fil musical, narratif, en crescendo. Ça commence avec le Sacre du printemps, de Stravinski, légèrement remixé et imprégné de chants et instruments amérindiens, ça se poursuit avec du techno et ça se termine avec la grandiloquence d'une musique très cinéma.

L'oeuvre qui prend racine au Musée des beaux-arts (MBA) pour les quatre prochains mois risque par contre de garder sa transe communicative bien secrète. Au sous-sol où elle se trouve, les visiteurs se font rares.

Entre rite et expression artistique, entre tradition et spectacle, entre hommage et critique, l'oeuvre met en scène le Berdache, un personnage ambivalent admiré chez les autochtones -- un travesti [sic *], selon notre vocabulaire courant. La danse qui le célèbre s'est surtout répandue dans les nations Sauk et Fox. La mise en scène, et en espace, de Monkman respire la fête. Il y a du pow-wow dans l'air.

Mais l'artiste natif de l'Ontario, lui-même d'origine crie, fait plus que rendre actuel et multimédia ce rituel ancestral. Il revisite le regard que les Blancs ont sur le Berdache et les cultures autochtones. Comme souvent chez lui, son commentaire repose sur ce que nous a légué un large pan de la peinture romantique en Amérique du Nord.

Sa Danse au Berdache tire son origine d'une huile éponyme de George Catlin (1796-1872), conservée au Smithsonian de Washington. Le peintre avait certainement été happé par la scène, mais elle lui avait aussi inspiré cette note: «L'une des coutumes les plus dégoûtantes et les plus inexplicables qu'il m'ait été donné de voir au pays des Indiens... et où il serait souhaitable qu'elle s'éteigne avant même qu'on puisse en attester encore davantage.» On regrette seulement que le MBA n'ait pas emprunté le tableau.

La confrontation Blancs-Indiens sur fond d'homophobie est au coeur de l'art critique et cynique de Kent Monkman. Un travail très éclaté (tableaux, films, performances...), basé sur l'histoire et faisant allusion à l'actualité, mais qui perd à l'occasion son tonus. Dans Salon Indien, une projection sur un tipi qui faisait partie de la Biennale de Montréal en 2007, l'homo-érotisation est trop appuyée.

Sacrifice

Danse au Berdache ne tombe pas dans ce piège. Même les écrans, en forme de peaux de buffle, sont subtils. Certes, le Berdache, qui se dandine sur l'écran du centre, est sexué, avec sa robe rouge transparente et ses talons hauts. Sauf qu'il se donne, et c'est très clair, en spectacle.

Le mélange des genres, des référen-ces, a du sens, plus que jamais. Que le guerrier danse aujourd'hui avec un parapluie ou sur du Stravinski illustre sa réalité: il est à la fois respectueux de ses traditions et imbibé de la culture de l'autre. En donnant un nouveau contexte, très actuel dans sa facture art contemporain, au Berdache, Monkman insinue que les enjeux propres à l'é-poque de Catlin n'ont pas nécessairement été enterrés.

Les rythmes et chorégraphies, le déhanchement du Berdache, le dispositif de l'ensemble des écrans et leur texture translucide, tout est fait pour nous entraîner dans la danse. On ne tapera peut-être pas du pied, il n'y aura pas d'excès, le musée imposant la retenue, mais quelque part, on est appelé à bouger. Or, on peut aussi rester impassible, spectateur passif dans le fond de la salle obscure. Et c'est là que réside, aussi simple soit-elle, la force de l'oeuvre. Ou on passe pour ce George Catlin, témoin curieux et épris d'ethnologie, mais qui refuse de passer le cap de sa première interprétation, ou on célèbre le personnage central, presque plus spirituel que charnel. Les Sauk et Fox admiraient ce travesti parce que c'était un signe du respect de la figure féminine. L'abandon de la masculinité devenait pour ainsi dire un sacrifice des plus honorés.

On a le choix: rester confiné à notre regard d'étranger ou se laisser séduire par la culture de l'Autre. Si les colonisés le font, pourquoi pas les colons?

2 commentaires:

Anonyme a dit...

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

Héhé!

Ce Delgado a la plume ya pa à redire. Un compte rendu de cette qualité donne le goût d'aller visionner cet oeuvre qui tant du point de vue artistique que du point de vue culturel et ethnologique semble être fort à propos et bien traitée.

Au Musée des Beaux-Arts donc pour quatre mois...intéressant!

Anonyme a dit...

J'ai oublié la signature

Richard Harvey, Métis